Résilience, Via négativa et syndrome d’Emanuel
« Résilience, Via négativa et syndrome d’Emanuel ». Voilà un titre un peu étrange qui peut faire rappliquer l’agence mystère.
Vous comprendrez mieux à la fin de cet article tout ce charabia.
C’est en toute vulnérabilité que je vous partage cet article. J’ai longtemps hésité avant de le publier.
Pour ceux qui me connaissent, cet article vous permettra de mieux comprendre certains changements dans ma vie. Et oui, l’arrivée de mon petit Soan, porteur du Syndrome d’Emanuel, a bien secoué ma carte du monde.
Si vous ne me connaissez pas et que vous aussi un enfant porteur d’un handicap est venu « pimenter » votre vie , cet article vous donnera peut-être quelques clés… même si face à un tel changement de vie, vous trouverez le chemin à l’intérieur de vous et par votre propre expérience.
Comme le dit souvent Laurianne (la maman) : « L’expérience des autres est une lanterne accrochée dans le dos ». Entendez par là que seule votre propre expérience vous éclaire le chemin. Celle des autres n’éclaire pas votre chemin, mais le leur.
Pour toutes les autres personnes, cet article vous permettra de découvrir la « Via-négativa » et la « Résilience », 2 philosophies précieuses par les temps qui courent.
Je profite également de cet article pour remercier Laurianne. Toujours là pour m’accompagner dans ce chemin que Soan nous a indiqué. J’admire ton courage, ta ténacité et merci d’être là dans mes phases automnales (que je détaillerai dans la suite de cet article). Sans elle, cet article n’aurait certainement pas vu le jour… ou aussi vite.
Merci également à Sacha (le grand frère) et toutes les personnes qui nous aident au quotidien.
Je suis conscient que cet article peut, à certains moments, secouer des certitudes, heurter, interroger, mettre mal à l’aise et générer des incompréhensions. Mais le handicap amène à ouvrir les consciences. C’est pour cela que je reste disponible pour tout éclaircissement.
Le handicap est souvent traité de façon lourde et austère. Si on veut commencer à faire de l’inclusion, autant en parler de façon agréable [1]. Cet article aura donc une pointe d’humour et sera illustré par des images de dessins animés…
(Allez-vous réussir à deviner tous les dessins animés ? (Vos réponses en commentaires😀. Peut-être que vous ne les connaitrez pas tous, mais c’est comme avec le handicap, on découvre tous les jours).
Bonne lecture
Fabien le papa de Soan
La via négativa et la résilience sont 2 philosophies de vie que j’ai découvert après la naissance de Sacha (le frère ainé de Soan). Elles m’ont permis de traverser un « papa blues compliqué » et de devenir «père». Elles m’ont également aidé dans de nombreux autres domaines de ma vie.
Avec le syndrome d’Emanuel, ces 2 philosophies ne cessent d’être d’un grand secours. Cela ne règle pas tout, comme le génie d’Aladdin, mais ça aide énormément !
Après un aperçu de ces 2 philosophies (pas trop long je vous rassure😀) (1), nous verrons en quoi elles sont d’un grand secours avec le syndrome d’Emanuel (2).
Résilience et Via négativa : Kézako ?[2]
Tout au long de ma vie mon rapport au temps et aux soucis a évolué… un peu comme un Pokémon.
- Phase 1 : Le célibat : J’avais l’impression de ne pas avoir de temps et d’avoir des soucis…
- Phase 2 : le couple avec un enfant : j’avais encore moins de temps et plus de soucis, mais j’ai compris qu’avant j’avais plus de temps et moins de soucis !
- Phase 3: la phase ultime, en couple avec 2 enfants dont un porteur de handicap : ben ici je me suis rendu compte que finalement avant j’avais beaucoup de temps et pas beaucoup de soucis !!!
Déjà à la phase 2, j’ai dû apprendre à mieux gérer mon temps et « travailler sur moi ». Cependant, ce n’était pas suffisant … c’est alors, que pour mon bien-être, j’ai commencé à mettre en place la « Via négativa » et la « Résilience » dans ma vie.
Avec l’arrivée du syndrome d’Emanuel dans ma vie, ces 2 philosophies sont devenues encore plus utiles.
Non la « Via négativa », ce n’est pas la « voie négative » ! Ce n’est pas passer du côté de l’Aktsuki !
Non la résilience ce n’est pas du tout devenir fort comme Maui et son hameçon.
La Via négativa
La Via négativa consiste à « réduire », « simplifier » ou « élaguer » ce qui est inutile dans sa vie. À garder ce qui est essentiel . Cela permet d’augmenter son niveau de bien-être, de récupérer de l’énergie, du temps et des ressources.
Ça permet également de faire de la place pour les choses qui comptent vraiment.
Elle est souvent résumée par « l’art de la soustraction » ou encore « l’addition par la soustraction ».
Pour vous donner une idée, c’est comme la sensation de bien-être quand vous avez tondu votre pelouse ou fait le ménage de printemps… mais dans des domaines importants de votre vie.
L’auteur qui en parle le mieux est Nassim Nicholas Taleb[3] .
La résilience
(N.B : la résilience dont je vais vous parler correspond à l’Antifragilité au sens de Nassim Nicholas Taleb. Il ne s’agit pas de la résilience comme définie habituellement. La notion d’Antifragilité n’en étant encore qu’à ses prémices dans notre société, j’ai conservé la notion de résilience dans cet article pour plus de clarté). Je suis précis au cas où un Monsieur Mackey tombe sur ce site.
La résilience consiste à s’ouvrir pleinement aux chocs et imprévus… pour ensuite s’en nourrir. La résilience ce n’est pas seulement la capacité à se remettre d’un choc comme le roseau. Ce n’est pas non plus de la robustesse (la capacité à résister comme un chêne). Ce n’est pas non plus la fragilité (sensibilité à un évènement ou un choc). Concrètement, ça consiste à « accueillir pleinement » les chocs et les imprévues pour « évoluer ».
La sérénité et la résilience sont 2 philosophies déstabilisantes. Notre société, notre éducation et notre égo vont toujours nous faire croire qu’il faut « ajouter » et être « robuste » face aux difficultés. Dans mon activité professionnelle, c’est ce que j’appelle le « paradigme du bourricot ». Cela consiste inconsciemment, face aux difficultés, à ne compter que sur « sa seule résistance » et à « ajouter toujours plus » comme une bourrique… avec tous les effets pervers que cela peut engendrer.
Depuis l’arrivée de Soan, j’essaye de cultiver la Via Négativa et la Résilience. D’accueillir pleinement les choses, de limiter la lutte, de m’ouvrir à l’imprévu et de me nourrir de cela pour « grandir » et « gérer » les situations.
D’arrêter de faire le chêne, d’accueillir les hauts et les bas, au lieu de toujours vouloir rester en haut. De faire de mon mieux et de lâcher la perfection illusoire. Cela se traduit par un plein accueil de mon impuissance, de ma vulnérabilité, de mes défauts, qui paradoxalement vont me donner la créativité, la certitude et l’énergie nécessaire.
À cette Résilience, j’essaye tant bien que mal d’ajouter la Via-négativa. En me recentrant sur le Pareto[5] pour trouver l’équilibre entre « moi », ma famille et Soan.
Via négativa et résilience au quotidien avec le syndrome d’Emanuel
Dans la suite de cet article, je vous présente des domaines et des situations où la Via négativa et la résilience sont d’un grand secours avec ce farceur de syndrome d’Emanuel . Cet article continuera d’être mis à jour, car ce syndrome est plein de surprises…
« Pour la paperasse et les démarches »
Entre les dossiers MDPH, les comptes rendus médicaux, les convocations, les livres, les formations, les trajets, les rendez-vous… le syndrome d’Emanuel peut vite faire déborder vos tiroirs, vos disques durs et votre tête. La Via-négativa et la résilience sont d’un grand secours dans ce domaine.
La Via-négativa permet de réduire la charge mentale et gagner de la place avec les nombreuses démarches. (Sinon, tu finis dans un Asile comme après avoir tenté de récupérer le laissez-passer A 38).
La résilience est également utile, car avec Soan, en une journée on peut devenir médecin, assistante sociale, juriste, psychologue, kinés, clowns… et sans oublier parents. Seul Ryder et ses chiots pourraient y arriver.
p.s : Concernant les démarches, je rends hommage à ma compagne qui est une warrior.
« Le boulot »
Dans ce domaine, la Via négativa et la résilience sont de mise également. Il m’a fallu quitter un poste à responsabilités pour pouvoir mieux m’occuper de Soan et de l’équilibre familial. Je suis également en recherche perpétuelle de mon IKIGAI, car je sais que cela apportera le meilleur à Soan et à ma famille. Je pense que ce coquin de Soan veut m’amener quelque part.
« Pour les sousous ! »
S’il y a bien un endroit où la Via négativa et la résilience sont d’un grand secours c’est sur les finances. Pour le compte commun, je rends honneur à ma femme qui est une excellente ministre des finances.
Avec Soan j’ai appris à faire de la Via-négativa dans mes dépenses. C’est important, car un enfant porteur de handicap ça demande des ressources si on veut l’aider correctement[6]. Et malheureusement, on n’a pas encore découvert les mystérieuses cités d’or.
Concernant les recettes, la mise en place d’un véritable système antifragile est actuellement la priorité du foyer (cela serait trop long à détailler ici). Car au-delà des inquiétudes autour de Soan, l’avenir de la politique sociale française n’est pas rose (et notamment pour le Handicap). Mais cela est un autre sujet.
« Dans ma tête »
Avec l’arrivée du syndrome d’Emanuel dans ma vie, ma tête a bien changé… Encore une fois, ce n’est pas toujours facile, mais j’avance petit à petit.
- Avec Soan j’apprends « l’accueil », « l’impermanence ». Pour donner une image, c’est comme les saisons, il y a des printemps, des étés, des hivers, des automnes. Des bons moments, des mauvais, etc… le but n’est pas de s’épuiser à rester en été. Mais de vivre pleinement les phases d’automne et d’hiver pour nourrir le printemps et l’été.
- Soan m’enseigne la connexion à l’instant présent. C’est indispensable avec un enfant porteur de handicap, car vous ne savez pas de quoi sera fait demain. Si vous restez dans le passé, il vous mine, et si vous êtes trop tourné vers le futur vous êtes vite dépassé.
- Soan « m’ouvre l’esprit », il me fait lâcher beaucoup d’idées arrêtées, il m’aide à me « désyphnotiser » de mon égo ou LEGO comme je l’appelle.
- Soan me fait découvrir un truc que j’avais mis sous le tapis : les émotions. Il m’a amené à explorer mon rapport à la colère et à la tristesse. 2 émotions que j’ai refoulées durant des années. Et puis Soan te fait connecter à toutes les émotions.
- il me fait cultiver le Stoïcisme[7].
- il m’apprend à « enfin » me connaitre, en explorant mes zones d’ombre et de lumière.
- Soan m’enseigne à me détacher du regard des autres, à cultiver la différence et à élever mon niveau de conscience.
- il m’ouvre à me réconcilier avec des fantômes de mon passé
- il adoucit mon juge intérieur et m’apprend l’humilité.
- Soan m’enseigne également coment plonger dans ma vulnérabilité tout en me reconnectant à ma souveraineté personnelle.
Dans ce domaine, beaucoup de choses restent encore délicates pour moi … et sûrement le travail de toute une vie. Mais j’apprends progressivement à regarder les pétales de la Rose et pas que les épines.
« Dans la maison »
Concernant la maison, la Via négativa est très utile. Avec le syndrome d’Emanuel, votre maison devient un mix entre un cabinet de psychomotricité et un parc d’attraction.
Vous partagez votre espace de vie avec le bumbo, le verticalisateur, le siège corset, le trotte-moto, le Bilibo, les tapis, les jouets éducatifs spécialisés… Oui tout cela est du chinois pour un no- initié, mais ça prend beaucoup de place ! Si on ne fait pas le tri et de la place, la maison devient vite comme Tonsville.
A la maison, la résilience est également importante, Soan à des besoins particuliers. Qui dit besoins particuliers dit objets particuliers quasi introuvables, voire inexistants. Avec ma compagne, nous passons notre temps à bricoler des objets, appareils, jouets… à trouver des systèmes D… L’aménagement de la maison est également un défi de tous les jours. Bref, faut avoir autant de ressources que l’inspecteur Gadget.
La famille et le couple
Une fois encore, la résilience et la Via négativa sont d’une grande aide. Un enfant porteur de Handicap peut vite fragiliser une famille. Une recherche d’équilibre entre les besoins de tous les membres de la famille est mon combat quotidien. Je développerai ce paragraphe prochainement tellement il y a de choses à dire.
Cependant, face à tout ça, avec ma femme on se complète comme le Yin et le Yang : elle est le sprint, je suis l’endurance, elle est le feu, je suis l’eau, elle est le jour, je suis la nuit, elle est Miraculous et je suis Chat noir etc…
Dans les relations
Dans les relations, le handicap est souvent vu comme quelque chose de « pénalisant » et « d’isolant ». Cependant, pour ma part avec le prisme de la via-negativa et de la résilience, l’arrivée de Soan m’a permis de faire le tri dans mes relations de garder les personnes qui me sont vraiment chères. Cela a également fait la place à de nouvelles très belles rencontres.
Les loisirs
Un autre domaine où la via négativa et la résilience m’ont aidé. Avec Soan, j’ai fait le tri. C’est fou comme avant j’étais en excès de loisirs qui en réalité ne me nourrissaient pas vraiment (réseaux sociaux, séries, jeux-vidéos, associatif en excès…).
Beaucoup de personnes s’interrogent sur mon choix de consacrer mon peu de temps libre au SYSTEMA[8]. Tout simplement, car cet art martial est devenu une philosophie de vie encore plus profonde que la résilience et la via négativa (je consacrerai un article sur ça). Il est d’un grand secours avec le syndrome d’Emanuel. Le Systema m’aide au quotidien à accueillir, à jongler avec les imprévus, à prendre soin de ma santé, à faire progresser Soan, à développer une communication « unique » avec lui, à le détendre après les soins très lourds[9]. ll m’aide également à créer une parentalité à inventer tous les jours avec Soan. Le Systéma me permet également d’éviter à Soan d’être victime d’antitélies[10] résultant d’une compréhension encore embryonnaire de certains aspects du handicap dans notre société.
Hygiène de vie
Ici c’est beaucoup la Via négativa qui m’aide. L’une de mes peurs profondes est de perdre ma santé et de ne plus pouvoir m’occuper de Soan. C’est pour cela que depuis son l’arrivée je suis encore plus vigilant à prendre soin de ma structure et de mes 4 énergies (physique, émotionnelle, mentale et spirituelle).
Cela occasionne parfois des incompréhensions avec mon entourage, mais encore une fois, Soan restera enfant plus longtemps que les autres, et je devrai donc être là pour lui très tard dans la vie.
Cet article est loin d’être terminé. Je le compléterai au fil des expériences que m’amènera le syndrome d’Emanuel. Comme le disent si bien les stoïciens « Amor Fati ».
S’il y a une chose à retenir, c’est qu’avec le syndrome d’Emanuel, la résilience et la via négativa sont d’un grand secours… Le quotidien n’est pas toujours rose, mais cela a permis de trouver de belles choses et d’aller là où ça pousse pour reprendre Franck Lopvet[11].
Si cet article fait écho en vous ou fait l’objet d’incompréhensions, vous pouvez me contacter pour en discuter.
Je conclurai cet article par les paroles de Marc Aurèle, qui résume bien mon état d’esprit sur le syndrome d’Emanuel: « donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que je peux changer et la sagesse de distinguer les premières des secondes ».
À suivre… comme dirait le docteur Mad, je reviendrai !
Fabien (le Papa de Soan)
[1] Si on se ballade sur le net, le handicap est souvent abordé de façon « juridique » ou de façon « dramatique ».
[2] expression du Sud-ouest pour dire « c’est quoi ».
[3] cf. son livre « Antifragile » paru le 21/08/2013
[5] principe des 80-20: environ 80 % des effets sont le produit de seulement 20 % des causes. En gros se concentrer sur l’essentiel et là où on est le plus efficient.
[6] Contrairement à ce que pense « l’inconscient collectif », les familles ont de nombreux frais à leurs charges malgré les aides publiques.
[7] Voici l’un de mes livres de chevet en la matière: « Pensées pour moi-même » de Marc Aurèle.
[8] Art martial Russe mettant en avant la détente, l’universalité, la santé, la structure et la respiration. Pour une perle en la matière: SYSTEMA ma Méthode d’Apprentissage par Konstantin Komarov.
[9] Le Systema me permet de détendre les tensions générées par les nombreux soins, rendez-vous…
[10] Notre société découvre tout juste cette notion. Fait d’obtenir le contraire de ce qu’on veut en posant une action.
[11] cf. son ouvrage « Ton autre vie ».